Exhibitions

Centre Georges Pompidou
Paris (FR)
2014

“DURAS SONG
Portrait of a style of writing”
Artistic Direction: Thu Van Tran
Curator: Jean-Max Colard

L’ENCRE ASSASSINE, (‘KILLER INK’), A PROJECT BY THU VAN TRAN

The artworks for Duras Song by the Franco-Vietnamese artist Thu Van Tran appear mainly on the walls of Outside, in the form of a work created on wallpaper containing a motif reproducing the wicking of methylene blue.
The walls of the outside world encompassing the inner, intimate section like a sort of peripheral area, reveal Duras to have been an extraordinarily tenacious public figure. The visitor is confronted with walls of demands, the author’s reactions to topical events, social injustice, seeking to translate the idea of a power and persistence into the act of writing. Methylene blue is used in printing to stain books that are to be pulped, destroying them a first time and thus ensuring they cannot be re-distributed. The indelible ink of censure thus covers the ink of knowledge, of testimony, of information. It is against that operation of censure that the political writings of Marguerite Duras should be seen. This landscape, endowed with a strongly significant yet equally total pictorial abstraction also makes it possible via this blue filter to allude to the colouring of our melancholy, the blues, contemplation.

Press release

On the occasion of the centenary of Marguerite Duras’ birth (1914-1996), the Bibliothèque publique d’Information and the Institut Mémoires de l’édition contemporaine have come together to present the Duras Song exhibition, dedicated to this important figure in 20th century literature. The mind behind such important books as Le Barrage contre le Pacifique (‘The Sea Wall’, 1950), Le Ravissement de Lol V. Stein (‘The Ravishing of Lol Stein’, 1964) and L’Amant (‘The Lover’, 1984), and participating in the renewal of the narrative form while probing the mysteries of love and the depths of the individual subject, Marguerite Duras also worked with her resolutely contemporary writing in other media: in cinema with Hiro- shima mon amour and India Song, in theatre, in radio and with numerous interviews and articles in the press that reveal her political commitment.
In order to offer the visitor a portrait of this writing, the Duras Song exhibition is organised in two large and easily identifiable sections corresponding to two structural aspects of Duras’ œuvre: outside and inside.
Inspired by the title of the two volumes of press articles published as a collection from 1980 (Outside and Le Monde Extérieur 2), the outer part of the exhibition focuses on the author’s public writings, political engagements and work as a journalist, as well as on documents concerning her biography: for Duras’ life and work are closely tied to the currents of history and cover a large part of the 20th century. Then the visitor is invited to penetrate into the interior of Duras’ world, into the “inside” of her writing.

Interview of the artist


BPI :Comment êtes vous arrivée sur ce projet d'exposition? Que signifie pour vous le rôle de directrice artistique ?
TVT : Jean-Max Colard, commissaire de l'exposition Duras Song, m'invite à l'accompagner dans ce projet en me confiant la direction artistique.
Ce qui signifie pour moi m'investir dans le contenu visuel et dans l'esthétique d'une exposition consacrée à l'oeuvre et aux manuscrits de Marguerite Duras. Cela signifie également assumer conjointement, avec lui Jean-Max Colard, plusieurs aspects liés au commissariat du projet.
En somme, il me faut me poser les bonnes questions formelles quant à la modernité de l'oeuvre de Duras. Comment retrouver cette modernité dans la mise en scène, la mise en espace, lumière et couleur.
Exposer une archive est finalement un acte je dirais 'contre nature' de l'archive, c'est pourquoi l'exposer est intéressant. Comme je suis artiste, je recherche l'expérience et donc à priori je vais plutôt à contre courant des protocoles de présentation type archive. Qui sont plutôt neutre objectif sans erreur.
C'est au travers de cela que j'imagine mon intervention : comment rendre présente l'archive de Duras?
Car Duras écrit au présent. L'immédiateté de sa langue est le propre de son écriture, la force du mot est dans son oralité. Duras écrit : c'est Duras dit. Et l'expérience de dire est inédite tel un processus qui avance s’enchaîne sans se retourner, telle une implosion d’autonomie, c'est la part brute de la langue, c'est le matériau pur, le matériau dire.
Et comment réimpulser tout cela, toute cette intensité-là, à des pages devenues archives, silencieuses en quelque sorte?


BPI :Pouvez-vous nous parler de votre geste artistique pour Duras Song, votre oeuvre Encre assassine et votre mise en espace d' Inside? Pourquoi ce titre Encre assassine? Pouvez-vous nous parler de votre technique picturale ?
TVT : Donc, pour ce projet, je réalise une œuvre spécifique en même temps que je travaille à mettre en forme et en espace l’exposition.
Le concept curatorial mis en avant est celui d'une dualité entre l'Outside et l'Inside. Entre une écriture tournée vers le monde extérieur, l'actualité, la presse, le terrain politique et une écriture tournée vers le biographique, l'intime, transfiguré dans le roman.
Pour l'Inside, je décide de centrer la direction artistique sur deux questions :
La première : « Comment traduire physiquement et en expérience l'œuvre multi-forme de Duras ? ». Comment faire pour que le caractère trans-médial de l'oeuvre de Duras soit livré, pour que le texte le son et l'image se confondent en un tout.
La seconde question : Comment l'Inside (conçu et élaboré par Jean-Max Colard comme un concept) peut se donner à vivre comme l'intérieur d'une intimité, l'intimité d'un vécu, l'intimité d'un lieu, l'intimité d'une écriture, voir l'intimité de la solitude du processus d'écriture... et tout ceci sans tomber dans le décor.
Pour cette dernière question, j'ai le sentiment que l'espace d'exposition, le bâti, doit retranscrire un lieu cher à Duras et non apparaître comme un espace aseptisé ou neutre. Dans ce sens, il nous importe de rechercher les lieux réels dans lesquels l'auteur a vécu et écrit, afin de projeter une spatialisation ''sentimentale'' et sensée. Le hall de l'ancien hôtel des Roches Noires à Trouville, conçu par l'architecte Mallet Stevens, avec son volume, ses grandes fenêtres ouvrant sur la mer, nous semble être un lieu possible auquel se référer formellement. L'intention est ici de jouer finement sur l'ambiguité de la reconstitution.
Puis pour la question liée à la trans-médialité de l'oeuvre de Duras, je propose deux gestes :
Tout d'abord celui de présenter un tapuscrit, avec corrections manuscrites et collages, dans sa totalité. Le tapuscrit est une des nombreuse version d'India Song, il est coloré, mouvementé, et recèle de 'copier coller' manuels. Il se déploie sur un mur graphique de 80 feuillets. La présentation choisie s'inspire d'une œuvre que je réalise en 2013, intitulée Au plus profond du noir, alors que j'achève la traduction subjective d'un livre, je décide de présenter l’ensemble du manuscrit de cette traduction ainsi, page par page, frontalement, en une masse écrite, livrée en un regard. Préférant la force d'une perception à la lecture, certes possible, mais parcellaire du texte.
Ce qui est étonnant et important pour moi ici dans cette présentation c'est cette dimension de l'inédit, Duras elle-même n'a jamais vu (ni jamais regardé) son texte de cette manière. Là ou un archiviste choisirait de présenter le tapuscrit en l'ouvrant à un page précise, nous préférons le montrer en insistant sur sa plasticité, sur son impact visuel. C'est un geste fort. Et ce tapuscrit d'India Song, nous révèle combien le sens, l'image et la musique dans l'oeuvre de Duras se jètent en un même souffle.
L'autre geste, dédié à la trans-médialité de l'oeuvre de Duras est celui de proposer dans l'Inside un espace d'exposition sous forme de séquence temporelle. Nous activation simultanément et nous produisons une sorte de collision des médiums texte - son – image. La question du format d'exposition est investie comme une durée, programmée. Plus concrètement nous proposons au visiteur de vivre une partition dans laquelle il va voir apparaître et disparaître, s'enchainer et s’entremêler un ensemble de manuscrits, d'extrait de films, de documentaires, de bonnes sonores...mixé monté par nos soins.
En ce qui concerne l'Outside, je propose la réalisation d'une œuvre spécifique et une direction artistique qui va traduire l'idée d'une résistance dans l'acte d'écrire, avec l'emploi d'un matériau contemporain assimilé à la censure.
En effet, dans le monde de la littérature et de l'édition, le bleu de méthylène est utilisé par certains éditeurs afin de tacher les livres destinés au pilon, les détruisant une première fois et s'assurant ainsi de leur inutilisation. L'image serait celle-ci : l'encre indélébile de la censure viendrait recouvrir l'encre de la connaissance, du témoignage, de l'information. Et c'est sur cette opération de sabotage (celle de tacher d'une encre indélébile les livres) que viennent s'inscrire et s'affirmer les écrits politiques de Duras.
(je précise, le pilon est ce protocole plus ou moins secret qui permet aux éditeurs, diffuseurs, libraires de détruire des millions d'ouvrages chaque année parce qu'il est beaucoup plus couteux de stocker que de détruire. Nos bibliothèques nationales elles-même pilonnent...)
Non pas que le travail de Duras soit directement lié au pilon, mais il me semble important d'insister sur le caractère parfois dérangeant des textes de l'Outside, qui se heurtent, se livrent, forcement à la contestation.
Aussi l'oeuvre que je propose et qui s'intitule « Encre assassine » est une contamination au bleu de méthylène, elle parle à la fois de la fragilité et de la persistance de l'écriture. Techniquement, je réalise une imbibition en trempant le papier (que ce soit le papier du livre ou le papier peint même) dans un bac de bleu de méthylène, la couleur absorbée s'encre dans le papier, adhère, évolue, s'infiltre.
'L'encre assassine' est selon l'endroit où l'on se place, l'encre de la censure ou l'encre de l'écriture.


BPI :Pour vous qui est Duras, quelle est votre lecture de l'oeuvre de Duras?
TVT : Je ne suis pas experte de Duras. Duras m'inspire. Sa manière de considérer l'acte créatif m'inspire. Elle dit : « l'écriture est le facteur absolu de transformation ». Toute transformation pour moi annonce une possible expérience esthétique, et puisqu'il y a transformation, il y a processus artistique. C'est sa manière d'être avec le médium qui m'inspire.
J'ai lu Un barrage contre le Pacifique, il y a plusieurs années. J'ai été saisi par la manière dont Duras transfigure son histoire personnelle et à travers cela une histoire collective, celle de l'occupation française en Indochine. Sans doute l'acte d'écrire commence motivée par l'injustice que subit sa mère (volée par les autorités françaises), mais très vite cet acte emmène ailleurs. Le ''déliage'' se produit, on pourrait même dire que les affects et les aliénations passées se transforment (voir se transcendent) en une expérience esthétique que permet l'écriture.
Et c'est ainsi que Un barrage contre le Pacifique, qui est un roman 'communiste' comme le dit Duras, s'échappe et devient une œuvre.
Une autre chose qui m'inspire chez Duras c'est le personnage féminin qu'elle incarne, (et j'aime les femmes qu'elle crée). Elle pose la question du féminin dans notre histoire moderne. Par exemple, les deux personnages femmes dans l'Amant et dans Un Barrage contre le Pacifique (qui sont des sortes de Duras transfigurée), basculent et se prostituent, se fourvoient en quelque sorte à un moment du récit. C'est paradoxal, mais je me dis c'est vrai « prenons l'argent là où il est »... C'est cette forme de liberté passionnelle qu'elle et ses personnages femmes incarnent qui m'attire.


BPI :Quel est l'élément dans cette exposition qui vous touche le plus (oeuvre, témoignage...)  ou qui vous semble le plus représentatif de votre vision de l'oeuvre de Duras?
TVT : Bien que le tapuscrit d'India Song que nous choisissons de présenter dans son entièreté soit selon moi l'un des éléments le plus représentatif de l'oeuvre de Duras, mon attention s'arrête sur un article qu'elle écrit pour la presse, et que nous présentons dans l'Outside. Il s'agit du texte « Sublime, forcement Sublime » publié dans le journal Libération, la matin de la mise en examen de Christine Villemin dans l'Affaire dîte 'du petit Grégory'.
Il y a deux choses frappantes :
Tout d'abord Duras est dans un délire. L'écriture l'emmène loin. Elle explique dans ce texte pourquoi Christine Villemin en arrive à tuer son bébé. Elle extrapole et elle est convaincu de détenir la vérité, qu’apparemment l'acte d'écrire lui permet d'atteindre. Elle est en quelque sorte plus forte que les juges, que les inspecteurs...
La seconde chose et plus technique et renvoie à sa manière de travailler. Le jour de la publication de son article, Duras achète le journal, et photocopie à échelle 150 % les 3 pages de son texte, elle le relit et le corrige (alors qu'il est déjà publié). Le lendemain, elle photocopie à nouveau, non pas l'article d'origine mais la photocopie qu'elle vient de corriger et d'annoter, pour le relire encore une fois et le corriger à nouveau. Et lorsque vous lisez la dernière version, assez difficile à lire d'ailleurs tant la masse écrite et dense, et bien c'est sure et certain pour vous, il n'y a pas de doute Christine Villemin est coupable. Duras signe et persiste dans son délire.
Mais voilà, ce qui est très beau pour moi c'est cette manière d'écrire sans cesse, d'écrire sans fin... même après publication, continuer à corriger, rajouter, enlever... écrire.